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GOÛT DES MOTS, ENCRE DES SAVEURS
14 novembre 2013

LE BOUILLON DE POULE

Faut-il être vieux et souffreteux pour apprécier ce met si simple ? Il est vrai que l’estomac engorgé, le teint cireux et le pied fébrile, peut nous amener à nous asseoir et à considérer le fait qu’aucune assiette ne passera… sauf peut-être un bouillon de poule. Chaud, légèrement aqueux, que s’y baignent trois brins de vermicelle ou qu’y louchent des paires d’yeux qui roulent en surface de ce liquide légèrement ambré, vaporeux, il n’est d’autre remède au faible appétit éprouvé en de telles circonstances que ce maigre repas. Cette frugalité passagère, cet « alicament » pour la mémoire, véritable remède affectif au dessus duquel bouillon, se dessine dans le halo fumant, le dos de la mère ou de la grand-mère qui se plie au dessus de la marmite.

            Un p’tit bouillon, juste ce qu’il faut pour parvenir à atteindre l’apaisement, l’arrêt de la douleur, cette chaleur interne qui vous pousse vers le lit, le sommeil réparateur, le lâcher-prise d’un corps et d’un esprit au repos.

Et puis le bouillon de poule c’est une promesse que nous fait le temps, celle de l’éternité, d’une écuelle à nos bols en porcelaine, car il est rare de trouver pareille pérennité à travers les siècles. Tout semble effectivement avoir commencé il y a 1700 ans avant notre ère, lorsque des recherches archéologiques ont permis de découvrir, sur une tablette trouvée en Mésopotamie, vingt cinq recettes de bouillons de viande et de légumes.

                Par ce constat il est aisé d’imaginer que ce met, fumant dans le chaudron, ait pu trouver une certaine filiation avec la trop fameuse potion magique connue de nos ancêtres les Gaulois, via la version historique des dessinateurs Goscinny et Uderzo. Dans les faits, il est plus ancien et tout aussi populaire, mais paradoxalement moins bien réputé puisque le bouillon de poule semble n’avoir revêtu aucun lustre, pas le moindre atour qui lui vaille d’être aujourd’hui  encensé sur la carte de nos restaurants. Quelle banalité, calfeutré sous un vieux châle poussiéreux qui résiste encore au temps, au fond d’un grenier, ce bouillon fait quelques pâles apparitions lorsqu’on le siffle comme un vieil apothicaire qui s’échine à guérir nos maux d’estomacs encombrés, à réchauffer nos pauvres corps enrhumés ou bien encore à tenir le coup au soir de nos vies, quand nos dentitions fatiguées nous lâchent et nous condamnent à laper nos assiettes.

            Un faux procès ! Et c’est au lexique qu’il revient de nous éclairer : le bouillon de poule, membre à part entière de la grande confrérie des  consommés de viande, se décline chez les connaisseurs de bien des façons. Pour ce faire, et sans dresser une liste exhaustive de ces « potages clairs », il suffit d’en mentionner quelques-uns pour redonner à ce met toute la mesure de sa réputation : le consommé Alexandra où notre bouillon se laisse charmer par le tapioca, des petites quenelles de volaille, une chiffonnade de laitue et se pare de fines lamelles de poulet ; le consommé à la Bouquetière, toujours assisté du tapioca et qui ravit dans le garde-manger toutes sortes de légumes de saison, de primeurs du printemps de préférence. Et que dire des consommés « Célestine », « Cendrillon », « Chancelière », « Dominicaine », ou encore « Flavigny », dit « à l’infante », « à la Madrilène » ou bien plus subtil, le consommé« Montespan »

            De retour au XXIe siècle, il est vrai que, dépouillé de ses nobles attributs, le bouillon de poule paraît à nos tables comme un très lointain parent de ces illustres consommés que nous narre si bien le grand Escoffier. Pire ! Il devient pour nombre de consommateurs que nous sommes, synonyme de cube à dissoudre en moins de cinq minutes dans un litre d’eau bouillante.

            Or le bouillon de poule est un mythe, une empreinte culturelle, une histoire qui ne délivre pas le même message selon le lieu ou  la région où il se déguste.  Relégué au rang de paria par les adeptes de la standardisation, d’ancêtre et de ringard par nos jeunes têtes blondes, il prend un tout autre sens lorsqu’on en explore l’élaboration dans les régions équatoriales (chez les ethnies vivant en forêt amazonienne par exemple), en Extrême-Orient (Japon, Chine, Laos, …) et ailleurs…

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